Sylvie Diet

Applications pour suivi du poids et le contrôle des aliments : risques ou sources de connaissances ?

Photo d'un plat avec un smartphone par Sylvie morales diététicienne

Depuis les 20 dernières années, nous assistons à une révolution numérique qui impacte tous les secteurs et entraîne de profondes mutations sociétales en matière de consommation. Cette transformation numérique pose de nouveaux paramètres comportementaux notamment avec l’arrivée des premiers smartphones en 2007 qui a dynamisé une tendance déjà en pleine croissance.

 

Aujourd’hui, grâce à nos ordinateurs et nos téléphones intelligents, l’information est disponible depuis n’importe quel endroit, à n’importe quel moment.

Le secteur de la diététique n’a pas échappé aux bouleversements liés à cette brutale expansion. Quantité de sites internet et d’applications smartphone dédiés à la nutrition et plus particulièrement aux régimes ont jailli.

J’ai moi-même observé, au sein de mon cercle familial et parmi mes amis, la prolifération des utilisateurs d’applications mobiles destinées à compter les calories ou à étudier la composition des aliments.

De mon côté, j’ai également téléchargé plusieurs de ces applications afin de les tester et d’éprouver leur efficacité.

Au cours de mes recherches et en multipliant les échanges avec les utilisateurs, certaines de ces applications bénéficient d’une notoriété liée au bouche-à-oreille ou aux budgets marketing investis dans la publicité.

Chaque mois voit arriver son lot de logiciels qui visent à une meilleure maîtrise de son poids ou à un contrôle accru des aliments les plus nocifs ou les meilleurs pour la santé.

Je me suis donc interrogé sur ce que représentent aujourd’hui les applications mobiles dédiées au suivi du poids et au contrôle de la qualité des aliments pour les personnes qui les utilisent.

Idées et questions qui flottent comme des ballons pour Sylvie morales diététicienne

Effet de mode ou véritable évolution de l’appréhension générale de la diététique ?

J’ai pu constater lors des échanges avec des travailleurs sportifs que nombreux étaient celles et ceux qui utilisaient une application mobile afin de contrôler leurs paramètres nutritionnels, qu’il s’agisse d’une courbe de poids ou d’une répartition des catégories d’aliments quotidienne.

Je me suis donc interrogé sur la manière dont la population des adultes bien portants pouvait utiliser ces applications mobiles pour gérer l’équilibre de leur alimentation. Et quelle expérience nutritionnelle ces outils leur apportent-ils ?

Dans cet article, je réalise un état des lieux sur l’utilisation des applications mobiles dédiées au suivi diététique et au contrôle de la composition des produits alimentaires chez les adultes bien portants. Ceci m’a permis d’aboutir à une seconde section relative aux constats et aux propositions d’amélioration pour la bonne utilisation de ces applications.

Il est important de comprendre que ce post porte sur les applications grand public, librement téléchargeables sur smartphone. J’exclus donc du périmètre les applications mobiles destinées aux professionnels.

Comment j'ai procéder pour rédiger ce post sur les applications diététiques ?

Lorsque j’ai voulu écrire cet article, j’ai commencé par un travail de recherche afin de regrouper l’essentiel des publications sur la relation entre applications smartphone dédiées à la nutrition et l’évolution des comportements sociaux dans un contexte diététique.

Malgré mes efforts, la littérature sur ce thème s’est révélée quasiment inexistante en français. J’ai pu disposer d’articles et de comptes-rendus en anglais publiés suite à des colloques et des conférences qui m’ont amené une vision plus globale sur le lien étroit entre les utilisateurs d’application à vocation diététique et les évolutions comportementales.

Dans un second temps, j’ai désiré approfondir ma connaissance des profils utilisateurs d’applications qui visent à l’analyse des produits et à compter les calories.

J’ai ciblé la population des adultes bien portants pour comprendre la manière dont l’utilisation d’applications s’intègre dans le quotidien des individus, mais également si cette nouvelle forme de suivi implique la gestion de risques particuliers.

Afin de tirer parti d’une source de données brutes, j’ai établi un questionnaire Quel est l’impact de votre application smartphone sur votre alimentation ? que j’ai largement diffusé sur internet et l’ensemble des réseaux sociaux au cours de l’année 2019.

73 personnes ont répondu au questionnaire me permettant ainsi de définir plus précisément le profil des utilisateurs. J’ai pu de cette façon contextualiser les habitudes d’utilisation afin d’envisager la manière dont les sondés faisaient appel à leur suivi de poids ou dans quelle mesure la composition des produits pouvait influencer la décision d’achat.

Une femme répond à un questionnaire nutritionnel posé par Sylvie Morales nutritionniste

Etat des lieux sur l'usage des applications mobiles dédiées au suivi diététique et au contrôle de la composition des aliments

Analyse du questionnaire Quel est l'impact de votre application smartphone sur votre alimentation ?

Sur les 73 participants au questionnaire, 90,4 % sont des femmes contre 9,6 % d’homme.

L’ensemble des sondés appartiennent à la population des adultes bien portants et 100 % d’entre eux possèdent un smartphone.

La première partie du questionnaire concerne l’utilisation des applications mobiles qui permettent le suivi du poids tandis que la seconde est orientée sur les applications smartphone qui sont dédiées au contrôle des aliments avant ou après achat.

Sur les questions d’ordre général, 64,4 % des personnes interrogées n’ont jamais eu recours à la consultation d’un professionnel de la nutrition et 89 % estiment qu’une application ne peut pas remplacer le suivi d’un professionnel.

Néanmoins, 68,5 % considèrent qu’ils n’ont pas besoin de consulter un professionnel. Enfin, concernant les 31,5 % qui pourraient ou qui ont déjà consulté, un quart d’entre eux l’ont fait pour perdre du poids.

Le comportement des utilisateurs envers les applications mobiles dédiées au contrôle du poids

Les premiers résultats obtenus montrent que 51,4 % de la population sondée utilise une application mobile pour suivre leur poids au minimum une fois par semaine.

Parmi ces utilisateurs, 66,7 % indiquent consulter leur application plusieurs fois par jour.

La fonctionnalité la plus utilisée dans les applications mobiles est le suivi de la courbe de poids pour 62,9 % des répondants.

Arrive ensuite la fonctionnalité de compteur de calories pour 60 % d’entre eux.

Puis, en troisième place (31,4 %), le détail des apports nutritionnels absorbé quotidiennement.

Les applications mobiles les plus utilisées pour le contrôle du poids sont :

Graphique des applications mobiles de contrôle de poids par Sylvie Morales diététicienne
Applications par nombre de téléchargement moyen - Source Quel est l’impact de votre application smartphone sur votre alimentation ? de 2019 - Sylvie Dolhabaratz Morales - Diététicienne Nutritionniste

La majorité des participants (54,3 %) estiment que l’utilisation de leur application leur a permis d’accroître leurs connaissances nutritionnelles.

Parmi eux, 57,9 % jugent qu’ils bénéficient d’une meilleure vision sur ce dont leur organisme a besoin et 52,6 % pensent avoir acquis une meilleure compréhension des apports des aliments qu’ils ingèrent.

L’impact direct de l’utilisation des applications est clair puisque 66,7 % des participants indiquent supprimer un aliment qu’ils jugent trop calorique afin de ne pas impacter trop significativement leur compteur de calories tandis que 41,7 % des interrogés choisissent d’exclure le sucre de leur alimentation.

Enfin, les utilisateurs qui ont participé au questionnaire remontent des contraintes inhérentes à ce type d’application :

  • La saisie quotidienne des ingesta (en physiologie, ensemble des substances alimentaires introduites dans l’organisme) demeure contraignante
  • Lorsque la baisse de poids n’est pas significative ou pas assez rapide, un sentiment de découragement apparaît
  • Le contrôle de tous les apports se révèle trop strict avec un risque d’addiction identifié.

Le comportement des utilisateurs envers les applications mobiles dédiées au contrôle de la composition des aliments

Les Données remontées dans la partie du questionnaire concernant les applications de contrôles de produits indiquent que 51,1 % des participants utilisent au moins une fois ce type d’outil dans la semaine.

Sur cette population, 40,9 % en font usage plus d’une fois dans la semaine.

Ces applications permettent de contrôler les valeurs nutritionnelles et la composition des produits avant ou après achat.

Ainsi, 60,8 % des sondés estiment que les résultats des analyses via leur application influencent leurs habitudes de consommation. Cette tendance est confirmée par le fait que 54,3 % des personnes interrogées expliquent que la composition des produits a un impact sur leur comportement alimentaire et sur celui de leur famille.

En matière d’utilisation des applications de contrôle de valeurs nutritionnelles, 65 % des utilisateurs se focalisent sur la note générale du produit qu’ils consultent et 57,5 % s’attachent aux informations nutritionnelles. Ainsi, 57,8 % des personnes interrogées considèrent que leur application leur a permis d’améliorer leur connaissance des aliments.

Pour conséquence, 76,9 % d’entre eux limitent les produits qui ne sont pas correctement notés sans toutefois les supprimer complètement.

Malgré l’effet d’apprentissage ressenti, seuls 2,6 % des participants affirment ne sélectionner que les produits qui disposent d’une excellente classification.

De manière plus générale, les personnes sondées soulèvent des limites notamment en matière de justesse nutritionnelle (les huiles par exemple sont sur la plupart des applications mal notées) et de décontextualisation alimentaire (le beurre est un aliment bénéfique pour la santé [source de vitamine A] s’il est consommé dans des proportions raisonnables).

Enfin, sur la raison pour laquelle les utilisateurs ont recours à ce type d’applications, 84,9 % d’entre eux confirment que la non-connaissance en matière de diététique représente un risque pour la santé.

Les applications de contrôle des produits les plus utilisés sont :

Graphique applications nutritionnelles de contrôle des aliments par Sylvie Morales diététicienne
Listes applications de contrôle des aliments par nombre de téléchargement moyen - Source : étude 2019 Sylvie Dolhabaratz Morales Diététicienne

Les conséquences sur le suivi diététique avec un professionnel

Les comportements des patients ont sensiblement changé avec l’arrivée des applications mobiles nutritionnelles.

D’une part, les patients présentent moins d’assiduité, persuadés que le suivi que leur propose leur application leur permet d’espacer les consultations.

D’autre part, les applications induisent des incohérences dans la compréhension des valeurs nutritives des aliments.

Ainsi, pour ma part, je dois régulièrement rappeler à ma patientèle qu’un aliment considéré comme bon par une application ne doit pas pour autant être consommé en excès.

Plusieurs fois, je me suis retrouvé dans l’obligation de justifier mes choix auprès de patients dont l’application indiquait des informations contraires à mon diagnostic.

Malgré ces faits, je tiens à préciser que j’apprécie l’utilisation d’application par mes patients puisqu’elle me permet de bénéficier d’un suivi quotidien des ingesta ainsi que d’une vision claire sur l’évolution de la courbe de poids.

L’avantage principal est que nous autres, professionnels de la santé, disposons de la connaissance nécessaire qui nous permet d’utiliser certaines applications, notamment sur la composition des aliments, afin d’aiguiller plus précisément les patients.

Cela a été confirmé par le Journal of Human Nutrition and Dietetics en 2017 dans lequel il est indiqué que les applications de nutrition sont utilisées par 62 % des diététiciens au niveau international dans leur pratique, principalement comme source d’informations (74 %) et pour l’auto-surveillance des patients (60 %).

Tournevis et vis pour amélioration nutrtionnelle avec Sylvie Dolhabaratz nutritionniste

Constats et pistes d'amélioration des applications dédiées à la nutrition

Les constats sur l'utilisation des applications mobiles

Le premier constat lié à l’exploitation des différentes sources qui m’ont permis de rédiger cet article tient dans le fait que les applications mobiles à vocation nutritionnelle semblent s’intégrer de manière durable dans la vie des utilisateurs.

Autre fait, ces applications influencent nettement le comportement alimentaire des consommateurs qui les utilisent. Ces nouveaux outils confirment une certaine prise de conscience de l’importance de l’alimentation pour une santé épanouie.

Mon second constat concerne le développement constant des applications nutritionnelles. Ces dernières sont fortement employées en raison d’une accessibilité nettement portée par leur aspect ludique, mobile, universel et social.

Certaines applications permettent par exemple l’interconnexion avec d’autres objets tels que les impédancemètres ou les montres connectées créant de la sorte un environnement de technologie orienté sur le bien-être de l’utilisateur.

Il existe donc une réelle dimension psychosociologique que je n’aborderai cependant pas dans cette étude, mais qui reste importante de souligner.

Ainsi, au cours de mes différents échanges avec les utilisateurs, il m’est apparu évident que les individus se retrouvent finalement seuls face à la machine. Ils ne bénéficient, par exemple, d’aucun accompagnement professionnel pour compléter leur profil et ne se basent que sur du ressenti.

Le troisième point qu’il me semble intéressant de souligner est qu’il n’existe aucune législation concernant l’édition des applications à vocation diététique. Ainsi, les sources qui évoquent les apports nutritionnels minimum et celles relatives à la composition des produits restent floues et sans fondement scientifique certifié la plupart du temps.

La quatrième constatation porte sur le fait que de manière générale, les applications mobiles peuvent constituer un véritable support vers le rééquilibrage ou le maintien de l’équilibre alimentaire. Bien utilisées, elles peuvent pallier la non-connaissance ou la méconnaissance en matière de nutrition et de connaissance des aliments.

Toutefois, et il s’agira de mon cinquième constat, la surutilisation de ces applications peut très rapidement mener à une situation d’addiction et de surcontrôle des ingesta qui pourrait potentiellement dévier sur des troubles du comportement alimentaire.

Les possibles pistes d'amélioration

Sur la base des constats effectués ci-dessus, trois possibilités s’offrent aux éditeurs afin d’optimiser les performances diététiques des applications mobiles à destination des adultes bien portants.

La communication engagée au cours de ces dernières années dans le cadre du PNNS en matière de recommandations nutritionnelles à destination de la population en général a entraîné une prise de conscience sur l’importance de l’alimentation pour une santé épanouie. Le développement des applications nutritionnelles et leur facilité d’accès ont renforcé cette tendance.

Or, les mises en place dans le cadre du Programme national nutrition santé (PNNS) tel que le Nutri-score par exemple intègrent des indications directement sur les produits et remplacent ainsi certaines fonctionnalités auparavant portées par les applications mobiles.

Il me semble donc intéressant que les déploiements dans le cadre du PNNS soient relayé par le biais d’une application et non pas seulement sur le site internet www.mangerbouger.fr. La mise en place d’une application nutritionnelle institutionnelle offrirait la même simplicité d’accès et d’utilisation que ses concurrentes privées, mais disposerait, en plus, d’une certification d’utilité publique, gage de qualité pour les utilisateurs.

En second lieu, le nombre croissant d’applications nutritionnelles éditées chaque année constitue un véritable enjeu de santé publique pour le gouvernement. Il serait nécessaire que le Ministère de la Santé publique légifère sur ces applications et définisse un cadre réglementaire aux conseils nutritionnels revendiqués par les différentes applications.

Il s’agirait par exemple de ne permettre l’édition d’applications diététiques que sur certification du contenu par un ou plusieurs diététiciens qui prendraient la responsabilité de la veille et de la mise à jour des informations intégrées dans l’application conformément aux recommandations nationales. Cela favoriserait également la prévention des dérives sur la mise en avant monétisée du produit d’un industriel par rapport à un autre alors que les valeurs nutritionnelles sont identiques.

Le troisième levier résulte du constat que les applications nutritionnelles en plus de permettre un auto-contrôle, constituent également un nouvel outil qu’il faudrait intégrer à la palette des diététiciens.

Il me semble judicieux que ces applications, plus ou moins bien utilisées par la population, soient connues et maîtrisées afin que les diététiciens soient en mesure de former les utilisateurs à leur bon usage.

Ces applications apparaîtront alors comme un nouveau terrain d’échange entre le diététicien et son patient et renforceront l’implication de ce dernier tout en permettant au professionnel d’alerter sur les risques d’une surutilisation de ces outils.

Conclusion

J’espère par cet article vous avoir permis de contextualiser le rôle des applications mobiles nutritionnelles et d’identifier les risques qu’elles pouvaient représenter en même temps que les avantages du suivi diététique qu’elles prodiguent.

Il serait tout à fait possible que je refasse un point sur ces applications, mais en me plaçant sous l’axe d’autres populations, notamment celles à risque (pathologie cardiovasculaire, diabétique, obèse, etc.) en raison de la potentielle application de régimes adaptés.

Toutefois, à travers les différents points abordés ci-dessous, il apparaît clairement que la place du diététicien envers ces évolutions technologiques se retrouve exacerbée dans son rôle d’éducateur face à la mise à dispositions de la population d’une masse d’informations nutritionnelles décontextualisées.

Les dérives que présentent l’utilisation d’applications nutritionnelles mettent également en lumière les impacts que peuvent représenter la non-connaissance et la méconnaissance en matière de nutrition dans le cadre de tentatives d’auto-régulation.

Mes collègues diététicien·ne·s et moi ne le répéterons jamais assez : si vous souhaitez engager un projet nutritionnel, prenez soin de vous rapprocher d’un professionnel de la diététique pour vous accompagner.

Sources de l’article

  • CHEN, J. ET AL., « The Use of Smartphone Health Apps and Other Mobile Health (MHealth) Technologies in Dietetic Practice: A Three Country Study »., in Journal of Human Nutrition and Dietetics, 2017, N°30(4), p. 439‑452.
  • OOSTERVEEN E., TZELEPIS F., LEE A., HUTCHESSON J., « A systematic review of eHealth behavioural interventions targeting smoking, nutrition, alcohol, physical activity and/or obesity for young adults »., in Preventive Medicine, 2017, N°99, p. 197‑206.
  • PNNS, « Qu’est-ce que le PNNS ? | Manger Bouger ». les principes généraux : https://www.mangerbouger.fr/PNNS/Le-PNNS/Qu-est-ce-que-le-PNNS

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